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Concentré d'adolescence.
12 février 2012

#21

Les mots éternels

  Il regardait la campagne défiler sous ses yeux sombres. Paysages de verdure éclatante, vallonnés comme dans un rêve, ignorants du passé encore tout frais. Il clôt les paupières sur son monde intérieur. Son visage le hante, revient s'imprimer douloureusement sur son âme, et c'est trop. Qu'aurait-il pu faire de plus ? Dans sa poche, ses doigts jouent avec un collier d'argent fin, étreignant les mots éternels gravés dans le métal : Alexanderplatz.
  Dans le vent froid de novembre, son souffle s'élevait en volutes vaporeux au-dessus de Berlin exalté. Assise sur un muret au milieu de la place, elle se réchauffe à l'espoir qui grandit dans son cœur de le revoir aujourd'hui. Le jour est spécial, paraît-il ; Sigmund disait que la lutte touchait enfin à son terme. La fin de la souffrance. Peu lui importait que ce 9 novembre reste ou non gravé dans les esprits : ce jeudi serait celui de leurs retrouvailles. Enveloppé dans un grand manteau brun, le nez blotti dans son cache-col, il s'avançait de l'autre extrémité de la place. Elle sauta sur ses deux pieds, et marcha elle aussi. Jusqu'au centre, un pied devant l'autre, comme deux inconnus.

 –        J'ai fait le tour de la place pour arriver face à toi. Pour l'effet.

  Elle rit.

 Au soir de ce jeudi, la ville vibrait toujours de cette liberté nouvelle gagnée à la force des âmes et au courage des cœurs. Et pourtant, malgré la liesse d'une planète entière, personne n'aurait pu trouver en soi autant de joie et de paix que dans leurs deux corps enlacés sous le ciel. Dans la clarté blafarde des lampadaires, ils s'aimaient d'un amour retrouvé, d'un amour silencieux et chargé de promesses. Ils étaient absolument seuls dans un pays qui renaissait, retrouvés parmi les retrouvés.
Ils marchaient, main dans la main, dans les décombres. Deux amants dans les ruines du monde. Cheminant calmement dans les méandres d'une ville fière, ils se murmuraient leurs vies au creux de l'oreille ; et quelques fragments s'échappaient du flot de bonheur qu'ils déversaient, et partaient colorer un mur, une porte, d'un peu de chaleur. Quelques mots de tendresse, rendant son souffle à chaque artère, chaque ruelle. Ils pouvaient entendre le cœur de Berlin battre, ce soir-là, enfin à l'unisson.
Si cette nuit-là était à revivre, encore et encore, pour les siècles des siècles, l'éternité à trois avec leur bonheur... Dans ce train qui l'emmène vers une contrée sans elle, serrant dans son poing fermé les quatorze lettres de son amour, il pourrait tout détester. Le printemps qui arrive, printemps d'une nouvelle année au tout autre visage. Le temps crève-coeur, arrache-bonheur, qui s'envole comme la fumée des cigares, et laisse à l'âme un goût amer. Comme un souffle dans le froid, son passé lui échappe, sans nulle part où aller. Pour toujours, s'effacer.
Il sait qu'il fera le tour du monde pour arriver encore face à elle. Pour l'aimer.

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  • Melting pot de rêves, de souvenirs et d'envies d'adolescents anonymes. Pour me contacter, bub.lies@live.fr. Je publie tout, tant que ça vient des tripes (j'accepte aussi les photos, dessins...). N'hésitez pas à commenter, "aimer" ou partager!
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